Co-directrice artistique & conception-rédaction : Kériane Nouguier
HORS PROJET.
Sous l’effet du hasard, un accident photographique marque une image d’une émotion.
L’erreur s’offre alors comme une alternative face à l’idée directrice originale.
Dérivé du latin errare, signifiant « errer », l’erreur est un vagabondage qui amène l’esprit à ne pas prendre le chemin prévu par la volonté. Comme une illusion, un détour, elle provoque une perturbation dans nos façons de faire et aboutit à un résultat autre que celui escompté.
Ce manque de contrôle dans le processus de création peut amener les artistes à considérer ces dérives comme des pièges à éviter.
Pourtant, dans cette course à la perfection, il arrive qu’un cliché sorte du lot sans que l’on sache véritablement pourquoi. La direction semblait précise, définie, mais il n’a rien de ce qu’on attendait de lui.
Photos floues, surimpressions, ombres inopinées, sont autant d’erreurs techniques auxquelles peuvent s’ajouter une erreur de direction, une intention ratée, un mouvement imprévu ou un regard perdu devant une attente imprécise.
Le résultat, pudique, inclassable, demeure cependant intriguant, et fait partie de ces sauvetages que l’on fait sans trop savoir pourquoi au moment du tri.
Ces instants suspendus au-dessus des attentes normées, naissent d’un curieux dialogue entre le photographe et son sujet, à un moment où la vie se fraie un chemin à travers l’objectif de l’appareil.
Les clichés se retrouvent alors dans une catégorie à part, rarement exploitée mais impossible à jeter pour l’artiste malgré leurs défauts apparents.
Découvertes fortuites, ces artefacts sont une proposition à la rencontre, la preuve que l’accident se respecte, s’accepte et porte en lui une force tout aussi légitime qu’une œuvre réfléchie.
Grâce au lâcher-prise, chacun de ces accidents photographiques est une histoire en soi, une fenêtre vers l’inconnu, et un rappel que la perfection réside parfois dans l’imperfection. Les photographies deviennent des portes ouvertes vers des instants de sincérité, l’accident est réel, il fait percevoir quelque chose de l’ordre de la fragilité humaine. Ils sont le fruit du hasard, de la sérendipité.
Dans “ Soulages le réfractaire” La Cause freudienne 2010/2 (N° 75, p135-167), Pierre Soulages exprimait à Jacques-Alain Miller son opposition à “la façon dont Aristote décrit le travail du producteur, celui qui fait, qui est supposé avoir la notion dans la tête et ensuite la réaliser.” Il y expose son ouverture à l’accident; “Une fois que l’on voit ce qu’on a fait, on s’aperçoit qu’il y a quand même quelque chose qui n’est pas complètement désorganisé, si bien qu’on pourrait dire qu’il y a eu un projet, mais après coup.”
Ce que vous découvrez aujourd’hui, est une proposition qui échappe à une logique de sélection réfléchie, c’est une série intuitive, construite uniquement à partir d’un ressenti face à l’émotion catalysée dans un instant qui n’était pas prêt à l’accueillir.
Les clichés qui vous sont présentés sont «hors projet», ce sont des accidents timides, qui au premier abord ne portent ni message, ni revendication, mais ils existent et la beauté de leur mise en lumière réside dans le fait qu’ils n’étaient pas destinés à voir le jour.